Bal folk pour tous : témoignage de Raphaël Colombier

Photo du bal folk pour tous
Crédit photo : Christophe Lavaud

 

 

 

 

 

 

 

Un bal pour tous

« C’est une performance d’émancipation comme on en fait malheureusement peu de nos jours. Handi, valides, débutant-e-s, expérimenté-e-s, âges différents, accès prix libre, et cette si grande liberté du corps.
Le tout dans un confort, une bienveillance et une qualité musicale…
Faire cohabiter des profils stigmatisés dans le même espace relève de l’exception statistique, dans un monde qui décrète l’égalité mais rechigne à la réaliser : les fils-filles de cadres deviennent cadres, les filles-fils de précaires deviennent précaires, les handi sont isolés ou parqués dans des institutions, les vieux-vieilles dans des établissements, les enfants aussi, les non-blancs dans les quartiers, chaque communauté mise à l’écart volontairement ou non d’une communauté qui ne dit jamais son nom : valide, diplômée, blanche, homme, hétéro, catho-laïc… bref, celle qui dispose de l’accès à tout : déplacements rapides, emploi, loisirs payants, lieux publics, options vestimentaires, fêtes nationales, boîtes de nuit, confiance en soi, laisser pousser ses poils, s’embrasser en public sans se faire insulter, liberté sexuelle sans se faire insulter, épargne, héritage des parents…
J’insiste : l’espace public est-il occupé par tous ?
Non, les études en sociologie le montrent. A Lyon, la Rue de la République n’est pas mixte, le centre commercial de la Part-Dieu non plus (quoique plus), les parcs, les quais, les restaurants, le commerces… Ne serait-ce que par l’intérêt à investir ces espaces, on voit déjà se dessiner les écarts de ressources, réduisant notre fameuse déclaration d’intention – « L’espace public est a tout le monde » – à une fiction.

Créer un espace où l’égalité devient réelle

En fait, pour créer un espace où l’égalité devient réelle, il faut… d’abord, se lever tôt ! Il faut affronter les privilèges intouchables, à commencer par nos propres privilèges, il faut mettre des caisses à prix-libre, il faut créer des voix aménagées, ouvrir des portes plus grandes, observer les plus exclu-e-s, supposer qu’ils-elles ne partent pas de la même confiance en eux-elles-même, leur tendre la main pour aller danser, se laisser refuser, écouter les envies, s’intéresser.
Pour cela, il fallait avoir quelque chose d’intéressant à faire, une activité suffisamment large et multiple pour réunir les différences : danser, écouter de la musique, manger, boire de l’alcool ou pas, discuter, fumer pas loin, et même filer un coup de main. Sans parler des danses elle-même, qui auront permis de s’amuser à tous les niveaux, de la valse modérée à la danse de groupe sophistiquée, en passant par l’improvisation libre. Les corps se sont liés et déliés, sans s’obliger, toujours en s’autorisant. Ici un homme prend un autre homme par la main. Là une personne en fauteuil déambule au milieu du cercle, ailleurs un solitaire timide semble méditer sur les mouvements du public ; un autre passe toute la soirée accoudé à la scène, bat la mesure en analysant le style des artistes.

Une vie collective positive

Au fur et à mesure de la soirée, un certain nombre de personnes handi sont passées de l’extérieur à l’intérieur du cercle, jusqu’à se diluer dans une masse vivante et indifférenciée. Quel symbole politique ! Enfin un espoir de vie collective positive !
Émancipation sociale en musique, sur fond d’émancipation des corps.

Une mixité plus réelle qu’ailleurs, donc. Et même mieux : une mixité qui s’ignore. Pas la moindre étiquette vendeuse mettant en scène l’handicapé stéréotypé dans le but d’attirer les bonnes consciences valides, ni même une déclaration de type « Ouvert aux personnes handicapées ».
Pas non plus de reconnaissance au moment de faire le bilan de l’événement. Juste un « Merci à tous et à toutes pour cette énergie ! »

Moi je suis très touché par ce que j’ai vécu. J’appellerai cela… une expérience vie sociale complète, c’est à dire mixte et partagée. Et qui devrait être la règle dans tout bal, dans toute autre activité d’ailleurs… en fait, dans tout pays démocratique. »

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Raphaël Colombier